Les remplois antiques à l’époque médiévale

C’est un point commun au Limousin, au Périgord et à de nombreuses autres régions : le remploi d’éléments architecturaux antiques au Moyen-âge. Blocs, pièces lapidaires, statues, inscriptions… la liste des éléments réintégrés dans les édifices religieux est longue. Très fréquents, ces remplois ne sont pas anodins et répondent à de réelles considérations.

Le remploi : la vision de l’Antiquité au long du Moyen-âge

Suite au déclin de l’Empire romain d’Occident, de nombreux édifices publics ou privés encore érigés ne sont plus entretenus. Temples, palais, thermes, villae formaient un paysage dans lequel les hommes et les femmes de la période médiévale évoluaient sans manifester d’intérêt ou de réelle admiration pour ces vestiges. Progressivement, les temples sont démontés et les éléments de grand appareil sont remployés. Les villae devinrent des centres urbains et les lieux de culte formèrent petit à petit les nouveaux soubassements de petites chapelles, abbayes ou églises.

Jordanès (VIème siècle), historien de langue latine et auteur d’une Histoire romaine de Romulus à Justinien montre cependant que le monde romain est encore bien présent. A partir de la renaissance carolingienne au VIIIème siècle, on observe un regain d’intérêt pour l’Antiquité. En effet, Charlemagne (742/748-814) qui revendique l’Empire d’Occident se place en héritier de la grandeur romaine. Mais du Xème au XIème siècle les empereurs ottoniens ne manifestent plus aucun intérêt pour la période antique. Entre rejet et légitimation du pouvoir, l’Antiquité revêt une image contrastée jusqu’au XI-XIIème siècles où en raison de nouvelles constructions, de nombreux vestiges sont redécouverts. A cette occasion, une vraie réflexion autour de l’Antiquité apparaît et l’intérêt est redoublé. Les constructions de l’époque médiévale s’affinent et plusieurs architectures prennent leur essor imposant des styles originaux.

Considérations techniques

Le remploi dépasse le simple goût pour l’Antiquité. Il s’exerce tout au long de l’époque médiévale et a diverses causes. Évoquer la simple destruction ou le remplacement d’un élément par un autre semble trop réducteur puisqu’on constate qu’une véritable économie autour du remploi s’instaure.

Le remploi s’applique essentiellement dans les fondations de nouveaux édifices où l’utilisation de blocs antiques dans les chevets des églises est courant et peut s’expliquer par des considérations techniques. Bien que le poids important des blocs rend la manipulation complexe ceux-ci sont réutilisés en maçonnerie et vont jusqu’à définir le plan d’un nouveau bâtiment. La fonction première d’un lieu peut alors être détournée, c’est le cas des mausolées antiques transformés en église. Le mausolée du Moutier-Rozeille en Creuse est l’un des mieux documentés en Limousin. Selon Thomas Creissen, la transformation semble s’opérer entre le Vème et le VIIème siècle, avant de devenir un espace d’inhumation privilégié. Le mausolée de Sainte-Marie-de-la Courtine à Limoges, situé sous l’ancienne église, montre également cette évolution avec un podium par lequel on accédait et autour duquel deux absidioles ont été ajoutés. Thomas Creissen évoque également la finalité de ce phénomène et interroge la motivation derrière la récupération de mausolées antiques. Selon lui, la construction d’un édifice chrétien au-dessus d’un monument antique implique qu’un chrétien a pu être inhumé à cet endroit mais cette hypothèse reste difficilement démontrable. Le réinvestissement des vestiges antiques par des lieux de cultes chrétiens est bien à mettre en corrélation puisque des thermes, des nymphées et des villae sont également investis sans pour autant qu’une quelconque symbolique ne se manifeste. Outre les fondations, les blocs antiques peuvent être remployés dans les élévations. A Châteauponsac dans l’église Sainte-Thyrse, Thomas Creissen montre que les chaînages d’angle du bras du transept correspondent à des éléments en grand appareil de la période antique. A l’église Saint-Pierre de Rancon, les blocs sont à la base des murs et à La Souterraine dans la crypte, ce sont trois rangs d’assises de grand appareil et des éléments d’architraves qui constituent le mur nord.

… et constitution de stocks

Le remploi de blocs architecturaux peut être à l’origine de la constitution de stocks. Lors de travaux de construction d’un parking sur le site de Saint-Martial, une forte concentration de vestiges antiques avait été découvert (blocs en grand appareil, fût de colonnes, cippe…), d’autres sur le site du palais épiscopal. Jean-Pierre Lousteau explique que cette réserve pourrait correspondre à des surplus de stock constitué lors de nouveaux chantiers de construction. Des sarcophages découverts sur le site de l’abbaye de Saint-Martial proviendrait de ce stock répondant à une demande du domaine funéraire. Pour Thomas Creissen, les remplois font l’objet d’une véritable réflexion, « une exploitation raisonnée des matériaux […] disponibles ». Certains édifices antiques, comme les mausolées du site des Cars, sont totalement démantelés afin d’en réutiliser les matériaux. On imagine cependant que tous les blocs antiques de la région n’ont pas servi posant la question d’un possible réseau commercial autour de cet exploitation. Thomas Creissen imagine alors des « entreprises de spoliation » permettant la diffusion des blocs en dehors du Limousin. Dans cette économie, le remploi des blocs intéresse pour sa dureté (granite) mais aussi pour son coût mais cela reste à nuancer car celui-ci nécessite tout un travail d’extraction et de transport plus onéreux qu’il n’y paraît.

Blocs, fondations… les murs des églises médiévales empruntent des éléments architecturaux antiques pour construire ou agrandir leurs édifices mais cet usage ne se limite pas seulement aux bâtiments puisque les statues, les inscriptions et les autels sont aussi remployés.

Quelques exemples

Les statues de lions

D’autres éléments architecturaux sont réutilisés dans les églises ou à proximité. L’exemple le plus frappant est celui des statues léonines dont les plus connues sont celles de l’Église Saint-Michel-Des-Lions de Limoges. Les statues de lions font partis des éléments architecturaux les mieux réintégrés dans l’espace religieux de l’époque médiévale.

Lions antiques de l’Église Saint-Michel-des-Lions de Limoges
Crédit : Pauline Vignaud
Lion antique du portail occidental de l’église Saint-Martial de Toulx-Sainte-Croix
Crédit : Sylvain Chardonnet
Lion dévorant un homme, portail du château de Jouillat en Creuse
Crédit : Sylvain Chardonnet
Statue de lion au pied de l’église paroissiale de Saint-Georges à Tarnac
Crédit : Ministère de la Culture

Les autels-bénitiers

Les autels datés de l’époque romaine font également partis des remplois courants. Généralement, ceux-ci font l’objet d’une modification et leur fonction votive s’est vue effacée au profit d’un usage religieux. C’est ainsi que plusieurs autels prirent la fonction de bénitier comme ceux présents dans les églises paroissiales de Saint-Christophe à Thauron et à Saint-Quentin-la-Chabanne en Creuse.

Autel-bénitier dédié à Auguste et Jupiter dans l’église Saint-Christophe à Thauron
Crédit : Ministère de la Culture
Autel-bénitier dédié à Mercure dans l’église de Saint-Quentin-la-Chabanne
Crédit : Ministère de la Cu
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Les blocs

Dans les édifices religieux, on peut assez facilement distinguer le remploi de blocs de l’époque romaine. Par exemple, le mur extérieur de l’église romane de Parsac (Creuse) montre le remploi d’appareils cyclopéens (mode de construction primitif constitué de grosses pierres équarries ou non, agencés ou entassés pour produire un mur). On peut les discerner lors des fouilles des soubassements ou des fondations d’églises.

Bloc cyclopéen romain dans le mur extérieur de l’église romane de Parsac
Crédit : Sylvain Chardonnet

Bibliographie :

AIME. R. 2020, Les remplois antiques dans les églises médiévales des Alpes-Maritimes, Journées Européennes du Patrimoine, conférence [en ligne].

CHARDONNET, Sylvain. 2020, « Les statues de lions des églises romanes, des gardiens de pierre entre espace profane et espace sacré », in Frontière·s, 3, p.75-84.

CREISSEN, Thomas et ROGER, Jacques. 2011, « Quelques réflexions sur les remplois antiques en Limousin au cours du Moyen Âge », in Hortus artium medievalium: Journal of the International Research Center for Late Antiquity and Middle Ages, Brepols, p. 61-67.

CREISSEN, Thomas. 2019, « Les mausolées de la fin de l’Antiquité au Moyen Âge central : entre gestion d’un héritage et genèse de nouveaux modèles », in Gallia, 76-1, p.257-274.

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